Il s’agit ici
d’un projet artistique aux dimensions rarement vues en Norvège.
Copenhague:
Pendant que tombent les bombes, que meurent les hommes et que grandit la
douleur, l’art peut-il nous parler de la guerre et de la condition
humaine sans devenir banal ?
Il est possible de trouver une réponse positive à cette question parmi
les œuvres que présente cette année l’association d’artistes danoise Den
Gyldne. L’exposition, qui réunit des artistes des pays nordiques, se
tient dans la Halle d’Exposition de Charlottenborg à Copenhague.
Dans une des salles, l’artiste suédois Kent Karlsson a réalisé une
église en miroir, de sept mètres de haut, sur laquelle sont reproduits
des extraits du Lévitique : « si vous rejetez mes lois, si vous prenez
mes coutumes en aversion au point de ne pas mettre tous mes
commandements en pratique, rompant ainsi mon alliance, eh bien ! Voici
ce que moi je vous ferai : Je mobiliserai contre vous, pour vous
épouvanter, la consomption et la fièvre, qui épuisent les regards et
grignotent la vie. Vous ferez en vain vos semailles, ce sont vos ennemis
qui s’en nourriront.»
Reflet
Cette colère divine de l’ancien testament, cette rigueur impitoyable, ne
sont perceptibles au spectateur que s’il se penche vers le miroir,
découvrant le verset dans son propre reflet. Le Dieu violent, vengeur
n’est-il que le reflet de l’être humain, une méchanceté narcissique
projetée dans la religion ? N’y a-t-il aucune place pour le bien ?
L’existence du bien
- Si, répond l’artiste norvégien Allan Christensen. L’avenir de
l’individu et de l’humanité n’est possible qu’à travers l’existence du
bien.
Son projet artistique, ces dix dernières années, est un travail
remarquable et d’une grande force: il s’agit de la mise en forme, au
travers de ses sculptures, du combat quasi cosmique entre le bien et le
mal. Car profondément ancrée dans l’art de Christensen, repose l’idée
selon laquelle l’éternité est le piège de l’homme, et qu’il n’existe
aucune issue à un tel cauchemar, sauf quand l’acte créateur de l’artiste
atteint des dimensions cosmiques, dans lequel ce dernier, sorte de
Lucifer, se révolte contre Dieu.
Le péché originel
Ainsi il y a trois ans, Christensen a entrepris de brûler la sculpture
Le Fardeau de l’Ange dans un feu symbolique et rituel. Pour lui, ce
fardeau représentait le péché originel et un sentiment de culpabilité,
produit d’une éducation sévère : l’art devenant alors un instrument
capable de défier l’éternité à laquelle l’homme est enchaîné. Les restes
calcinés de la sculpture ont été placés dans un sarcophage de verre et
d’acier. Le péché originel est ainsi devenu concret, perceptible, et
d’autant plus visible : donc contrôlable, dompté et enfermé.
L’Arche d’Alliance
La nouvelle sculpture d’Allan Christensen à Copenhague, L’Arche
d’Alliance, va dans le sens inverse, en cachant son contenu, au propre
et au figuré. Sur une chaise à porteur flanquée de quatre gardiens en
forme de tour, repose un coffre au couvercle recouvert d’or. Ce coffre
renferme une mallette d’acier qui à son tour renferme une petite
sculpture scellée, qui, le scellé rompu, révélera un message codé. Ce
code est également imprimé sous l’or du couvercle du coffre. La clef du
secret de l’arche est là devant nous. Mais saurons nous briser le code ?
Pouvons-nous tendre au bien?
Le message au cœur de cette boîte chinoise traduit l’aptitude
fondamentale de l’homme au bien : selon Christensen, la nouvelle arche
est « le lien entre les hommes pour qui l’amitié terrestre est une
condition essentielle à toute vie sur terre ».
Après s’être symboliquement débarrassé du péché originel, selon lequel
tout homme naissait mauvais, Christensen est non seulement prêt à
confirmer la nécessité de l’existence du bien, mais il en protège
symboliquement l’existence en lui construisant un abri, exposant
l’ensemble au moment où a lieu une guerre qui semble justement confirmer
la chaîne ininterrompue du péché originel.
Un héritage humaniste
L’exposition propose un autre message caché, dans le travail du
Danois Per Neble: un seau rempli de 500 boules de papier imprimé
froissé. Mais, tandis que ces dernières, rejetées, ont fini à la
poubelle, Christensen protège son message : il l’élève, précisément en
le cachant. C’est pourquoi son Arche d’Alliance n’est pas seulement un
abri, elle est également un écrin précieux dont nous devons prendre
soin.
Ce vestige est notre héritage humaniste, dont les racines remontent au
temps ancien des philosophes et qui se base sur l’attention particulière
portée par la renaissance aux valeurs et aux qualités positives de
l’homme.
Comment savoir que cette sculpture renferme réellement un tel message,
humaniste et universel? C’est une question pleine de défi, analogue à
celle que posait la boîte fabuleuse de Yoko Ono Disappearing Piece de
1971 : à côté d’une petite boîte de métal, il est écrit que son contenu
disparaîtra s’il est exposé à la lumière. Nous ne saurons jamais si ce
contenu existe, et c’est ce que souligne Christensen : l’existence du
bien est une question pleine de défi. Le bien ne peut exister que si
nous sommes assez nombreux pour y croire, si nous protégeons l’idée du
bien, surtout en période de détresse, et si nous utilisons cette idée
pour créer des liens entre les hommes. Un nouveau pacte humaniste.
Si Allan Christensen ne peut, littéralement, se débarrasser du péché
originel, il peut se libérer d’une telle limite: l’instant où le rêve,
l’imagination et l’art s’unissent dans une sculpture qui dépasse son
état physique pour prendre une dimension symbolique, dimension d’espoir
pour l’humanité. Malgré tout.
|